julieng

“Le Japon a le meilleur système d'éducation au monde” (C'est faux)

Après avoir passé dix jours en silence complet (le “noble silence”) lors de ma retraite de méditation Vipassana en avril dernier, une des premières personnes avec qui j'ai parlé était un Indien qui était fan du Japon. Un fan fini du Japon, qui était excité de me parler après avoir entendu que je revenais d'un séjour de trois ans à Kyoto.

« Trop cool ! » me disait-il avec des yeux ouverts tout grands et tout ronds, tellement ouverts qu'il semblait avoir oublié que des yeux, ça se déssèche ; le visage illuminé – par l'excitation, pas par la pratique de la méditation ; – et la face nettement trop proche de la mienne. Dans ma bulle.

« J'adore le Japon. Le Japon a le meilleur système d'éducation au monde ! » a-t-il ajouté.

Et là, j'ai décroché. Mais de quoi est-ce qu'il parle ?


Mon opinion sur le système d'éducation japonais a beaucoup évolué. Et, bien qu'elle soit passée de « terrible » à « plutôt bon », je suis encore loin de penser que le système japonais est le meilleur au monde.

Je dirais plutôt que c'est le meilleur système d'éducation... au Japon... pour le Japon.


Au courant des premiers mois après mon arrivée à l'Université de Kyoto, j'étais en période d'adaptation, l'adaptation à un nouveau groupe de recherche ; nouveaux étudiants et nouvelle dynamique. Je laissais derrière au Canada un groupe de recherche incroyable. À l'Université de Montréal, je travaillais avec un superviseur allumé, dynamique, motivé et motivant. J'avais le plus grand respect pour les autres étudiants du groupe. Ils étaient travaillants, motivés, allumés, curieux et très sympathiques.

Je dois dire, il y avait un gros contraste entre les deux groupes. À Kyoto, mon superviseur était un professeur allumé, motivé et d'une gentilesse incroyable. Mais les étudiants me paraissaient... très ordinaires. Au-delà de la barrière de la langue et malgré mes efforts pour chercher leurs qualités, je restais avec cette impression qu'ils n'étaient pas particulièrement allumés, pas motivés à travailler, pas intéressés à apprendre, et qu'ils ne faisaient que « le strict minimum pour passer leur maîtrise ou doctorat » !! Et ce, à la prestigieuse Université de Kyoto, la numéro deux (et même, la numéro un en nombre de Prix Nobel) au Japon !

Est-ce que je suis tombé sur le pire groupe de recherche de l'Université ou quoi ?

Fast-forward plusieurs autres mois. Je suis maintenant rendu plus à l'aise avec les étudiants du groupe. Je commence à avoir une conversation plus honnête avec l'un d'eux.

« C'est moi ou les étudiants ne visent pas l'excellence, ou encore, de bien performer ? J'ai l'impression que les étudiants ne travaillent pas très fort et font seulement le strict minimum pour passer...

— Ouais... dans mon cas en tout les cas, je ne visais pas d'avoir des bonnes notes tout au long de mon parcours universitaire. » me répond Ohmori (nom fictif). Ohmori parle au passé car à ce moment-là il a déjà terminé tous les cours qui étaient nécessaires et il peut se concentrer sur la recherche.

« Ok, toi tu dis ça, mais autour de toi, les autres n'ont pas l'air de travailler fort eux non plus.

— Ouais... c'est vrai que je n'ai pas rencontré d'étudiant à l'université qui visait avoir des bonnes notes.

— Hein ?! Mais alors... »

Plein de pensées me viennent en tête, je suis choqué ! Dialogue intérieur entre J#1 et J#2.

J#1) Si tu ne vises que passer un cours – ce qui est une note de 50% ou 60% à l'université dépendamment des cours – alors à la fin du cours tu n'as acquis que la motié des concepts, approximativement. Avec le temps tu oublies des choses, qu'est-ce qu'il te reste à la fin ? (Presque rien!)

J#2) Mais ça c'est vrai en Occident aussi, même si tu passes un cours avec une bonne note et tu as bien compris, tu finis par oublier... Ce qui compte, ce sont les compétences acquises au prix d'efforts intellectuels.

J#1) Ah, c'est vrai, hein...

« Dis-moi, Ohmori, en fait les gens n'ont pas des bonnes notes parce que les cours sont super difficiles et challenging, c'est ça ? On est quand même à l'Université de Kyoto ici...

— Hmm, ouais... non, pas vraiment. Passer un cours n'est pas difficile si on fait un minimum d'efforts...

— Heinnn !?! »

J'ai du mal à croire ce que j'entends.

Mais c'est pourtant vrai.

Plusieurs étudiants étrangers que j'ai rencontré en trois ans m'ont dit la même chose. Les cours à l'Université de Kyoto sont, en général, faciles. Ou, à tout le moins, faciles à passer. Surtout en comparaison avec les standards de difficulté au Canada, aux États-Unis ou en Europe. « Une session ici c'est une session de vacances (académiques) pour nous ! » m'a déjà dit un étudiant allemand en échange.

Et ce n'est pas juste les étudiants qui me disent ça. Un professeur de l'Université de Kyoto m'a confié que « les cours ne peuvent pas être trop difficiles, ou bien les étudiants vont faire des plaintes. Ou encore, il vont couler. Mais les étudiants ne peuvent pas couler facilement, il faut les accomoder le plus possible... »

Et ce n'est pas juste à l'Université de Kyoto que ce phénomène se produit. Un professeur d'une autre université, européen d'origine, me racontait le même genre d'histoire. « Le niveau des cours ne peut pas être trop élevé ou les étudiants vont se décourager ou porter plainte. Et ici (c'est une université un peu moins prestigieuse) on ne peut pas faire couler un étudiant, ou un supérieur va s'en mêler, nous demander de laisser des chances à l'étudiant ou de lui donner un travail de rattrapage minimal pour qu'il se mérite des points supplémentaires, etc. »

Est-ce que je passe à côté de quelque chose ?

« Mais là, Ohmori, tu ne vas pas me dire que toute la scolarité est facile ?

— Dans la scolarité japonaise, la difficulté est dans les examens d'admission.

— C'est tout ? Après, c'est du smooth sailing ?

— Ouais... Les étudiants ont dès le départ (小学校 elementary school et 中学校 junior high school) de la pression pour bien performer à l'examen d'admission de l'école secondaire (高校 high school)... afin d'être admis à une bonne école secondaire... afin de recevoir une bonne éducation qui va leur permettre de bien performer à l'examen d'admission d'université... qui va leur permettre d'entrer dans une université prestigieuse et obtenir un diplôme réputé... qui va leur permettre de décrocher un emploi dans une bonne compagnie. Le diplôme universitaire est important pour ça, c'est surtout ça que regardent les compagnies. »

J#1) Mais alors, le système d'éducation japonais vaut quoi ? Ils ont pris le concept Occidental d'université, mais le reproduisent tout croche ici en une usine de production de diplômes ?! Ça vaut quoi ce diplôme d'université japonaise ?! Et dire que l'Université de Kyoto est mieux classée que l'Université de Montréal dans les classements d'universités, ça ne fait aucun sens. L'enseignement que j'ai reçu à Montréal est à un autre niveau complètement que celui à Kyoto !

J#2) Ouais, je n'ai pas vraiment autre chose à dire... On dirait que les étudiants sont encore traités et agissent comme à l'école secondaire... On ne devrait pas appeler ça une université ici, mais plutôt « école tertiaire », en suite logique de école primaire, puis école secondaire...

Et oui... À cette époque, mon opinion sur le système éducatif japonais était... terrible.


Si on me demande d'expliquer le Japon en une seule phrase, je dirais que « la chose la plus importante dans la société Japonaise, c'est l'harmonie ».

Vivre en harmonie avec les autres, en collaborant avec les autres, en évitant les conflits, en sachant se mettre à la place des autres, en agissant tout en gardant en tête comment les autres peuvent se sentir, etc. C'est une société collectiviste, en contraste direct avec les sociétés individualistes (on pourrait dire, égoïstes...) que nous connaissons bien en Occident.

Ça, cette habileté à maintenir l'harmonie en société, je l'ai observée dans mon quotidien à chaque jour que j'ai passé au Japon. Les étudiants de mon groupe de recherche, eux aussi, excellaient là-dedans.


J'ai eu la chance d'être membre du club de tennis de table de l'Université de Kyoto pendant deux ans et demi. Les étudiants étaient en première, deuxième et troisième année de baccalauréat. J'étais dix ans plus vieux que presque tous les membres du club. Dix ans plus mature... Mais, en ce qui a trait au maintien de la cohésion sociale, de l'harmonie en société, c'était eux qui étaient les plus avancés. À de nombreuses reprises, j'ai senti que c'était moi qui était la personne immature, au vu de la façon dont ils géraient des situations plus difficiles.

Autre point remarquable : pas de coach ou de figure d'autorité pour gérer le club. Les étudiants s'arrangent entre eux, se délèguent les tâches et rôles, organisent tout par eux-mêmes – voyages, camps d'entraînement et compétitions à travers le Japon, programmes d'entraînement, évènements divers – et règlent les problèmes entres eux.

Un constat s'impose lentement à moi : tous les étudiants que je rencontre, même ceux fraîchement sortis de l'école secondaire, travaillent bien ensemble, se comportent de façon mature et appropriée en toutes circonstances, font preuve d'empathie envers les autres. Bref, ils me paraissent tous « plus matures que leur âge » (et que moi, par moments).

Et si c'était ça, l'éducation japonaise ?


C'est là où j'en suis. Je crois qu'un système d'éducation se doit de former les étudiants afin que ceux-ci excellent en fonction des valeurs souhaitées dans une société. En Occident, le lieu où sont apparues les Lumières (je pense ici au siècle des Lumières), la pensée critique, l'individualisme, le réfléchir par soi-même, pour soi-même sont importants et encouragés. Et ainsi, une formation scolaire qui vise à développer ces aptitudes par le biais de cours difficiles est appropriée.

Et au Japon, où l'harmonie et la cohésion sociale sont de la plus haute importance, une formation scolaire qui pousse moins la note sur les défis intellectuels mais en revanche peaufine les habiletés des étudiants à agir en bons citoyens dans cette société est appropriée.

Je pense qu'on ne peut pas – qu'on ne devrait pas – comparer ces deux systèmes d'éducation. Car les objectifs sont différents.

Q) Ok, mais considérant tout cela, toi, J, tu penses que c'est lequel le meilleur système dans lequel grandir, se faire élever ? Tu aimerais que tes enfants grandissent dans quel système ?

R) Dur à dire. Je crois sincèrement en la valeur des deux systèmes. Comme pour tout dans la vie, l'idéal est la balance. Je pense que mon exposition à ce système japonais, mon expérience de la chose (par mon vécu), a été très bénéfique pour moi. Un excellent complément. Je souhaite que mes enfants puissent être exposés et influencés par ces deux systèmes, qui se complémentent bien.


Mot de la fin : mon opinion a beaucoup évolué dans le temps et je m'attends à ce qu'elle change encore dans le futur. Si vous pensez que je me trompe sur quelque chose, contactez-moi 🙂.